vendredi 9 février 2024

Qui a tué la Dame de Beauté ?


9 février 1450 - Fatale grossesse


Agnès Sorel, demoiselle d'honneur d'Isabelle 1ere de Lorraine, favorite du roi de France Charles VII, meurt avant l'âge de vingt-huit ans, après avoir donné naissance à une quatrième fille qui n'a pas survécu

Portrait d'Agnès Sorel d'après Jean Fouquet

Ça s'est passé il y a 574 ans.

Installée par le roi Charles VII au Manoir de la Vigne au Mesnil-sous-Jumièges près de Rouen, Agnès Sorel est soudainement prise d'un "flux de ventre", et meurt en quelques heures le 9 février 1450, recommandant son âme à Dieu et à la Vierge Marie et rappelant l’indulgence absolutoire "in articulo mortis" (à l’heure de la mort) accordée par le pape Nicolas V. Elle donne naissance à un enfant prématuré de sept mois, sa dernière fille, qui meurt rapidement après sa naissance. Elle est âgée de vingt-huit ans à sa mort, et meurt officiellement d'une infection puerpérale. Elle a le temps de léguer ses biens à la collégiale de Loches pour que des messes y soient dites pour le repos de son âme, à l'abbaye de Jumièges où est déposé son cœur, ainsi qu'aux membres de sa famille et au roi à qui elle lègue ses bijoux.

Sa mort est si rapide qu'on soupçonne un empoisonnement. Mais qui ? Jacques Cœur ? le Dauphin, futur Louis XI ? Son médecin Robert Poitevin ? Sa cousine germaine Antoinette de Maignelay ? 

L'analyse des restes de son cadavre, à l'occasion de l'ultime déplacement de son gisant dans l'église Saint-Ours de Loches, a révélé qu'elle était atteinte d'ascaridiose, son tube digestif étant infesté d’œufs d'ascaris ; et qu'elle avait absorbé une dose massive de sels de mercure, une purge utilisée à moindre dose en association avec la fougère mâle pour bloquer la croissance des parasites. Le mercure était aussi utilisé pour les accouchements longs et difficiles et pour les suites d'accouchement, mais là encore à dose nettement réduite par rapport à ce qui a été trouvé lors de ces récentes analyses. C'est l'ingestion d'une dose excessive de ce métal lourd qui a entraîné le syndrome dysentérique puis la mort en moins de 72 heures. Le mercure était alors administré sous forme liquide, dans des pilules de mie de pain pour prévenir les brûlures d'estomac. Cependant, la quantité de mercure détectée dans un poil de l'aisselle s'est révélée dix mille à cent mille fois supérieure à celle attendue de l'absorption de doses thérapeutiques, et il est difficile de croire à une erreur médicale. Le suicide est une hypothèse mais celle de l'empoisonnement de cette jeune mère vulnérable qui se relève de couches est nettement plus plausible.

Le premier coupable désigné est Jacques Cœur, son exécuteur testamentaire. Il est même accusé de l'avoir fait assassiner, mais c'est l'un des rares chefs d'inculpation dont il est lavé lors de son procès peu après la mort d'Agnès en effet les motifs manquent pour justifier cette hypothèse, et il n'est pas retenu comme auteur de ce crime - d'autant qu'Agnès, qui l'avait présenté au roi en premier lieu, soutenait son commerce auprès du roi.

Son médecin Robert Poitevin, qui était aussi un de ses trois exécuteurs testamentaires, était le mieux placé pour administrer le poison mais manquait lui aussi de motif. Il est par contre très possible qu'il ait reconnu les symptômes d'empoisonnement mais se soit tu, faute de pouvoir y remédier et, autre bonne raison, de peur d'y perdre sa place voire sa vie au vu de l'importance sociale du possible coupable.

Un autre suspect plus sérieux est le futur Louis XI, qui détestait Agnès pour avoir si bien fait oublier la reine sa mère dans la vie du roi, et a bien pu vouloir priver son père du soutien d'Agnès

Il y a aussi la cousine germaine d'Agnès, Antoinette de Maignelay connue pour la jalousie qu’elle portait à l’encontre de sa cousine, qui, trois mois après la mort d'Agnès Sorel, prenait sa place dans le lit du roi ; le roi la mariera rapidement, en 1450, au seigneur de Saint-Sauveur-le-Vicomte, André de Villequier, un de ses chambellans, et, peu après, Antoinette recevait la seigneurie d'Issoudun. Elle avait donc le double motif de jalousie et de cupidité

Qui était Agnès Sorel ?

Selon les historiens, Agnès Sorel serait née vers 1422, soit à Coudun, près de Compiègne en Picardie, soit à Fromenteau, en Touraine. Son père, Jean Sorel ou Jean Soreau, conseiller du vicomte de Chartres, est châtelain et seigneur de Coudun. Il épouse Catherine de Maignelays, fille de Jean Tristan de Maignelay, châtelain et seigneur de Verneuil-en-Bourbonnais. Agnès n’est pas fille unique, elle a quatre frères : Charles (écuyer du roi), Louis (écuyer), André (chanoine à Paris), et Jean (seigneur de Saint-Gérand). Il semble que certains membres de sa famille soient connus des historiens, comme Geoffroy Soreau, son frère ou son cousin, ou peut-être son oncle, évêque de Nîmes puis de Châlons, ou encore Jean de Maignelay, capitaine gouverneur de Creil.

Agnès est issue de la petite noblesse. A ce titre, elle reçoit une éducation soignée en Picardie. Les historiens s’accordent à dire qu’elle aurait vécu au château de Maignelay-Montigny. Selon l’usage, elle aurait été préparée à occuper la charge très enviée de demoiselle de compagnie d’Isabelle, duchesse de Lorraine, reine de Sicile et femme du roi René, beau-frère de Charles VII. Cette charge lui était destinée dès son plus jeune âge du fait de sa naissance et des recommandations dont elle bénéficiait.

Selon les historiens, s’appuyant essentiellement sur les chroniques de Monstrelet ou de Jean Chartier, la rencontre entre le roi et la jeune femme a lieu à Toulouse, le 19 mars ou septembre 1443. Agnès paraît pour la première fois et le roi est impressionné par sa beauté. L’année suivante, il semble que le roi la fasse entrer au service de la maison angevine. Officiellement, elle est demoiselle de la maison de la reine Marie d’Anjou. Elle passe par la suite au rang de première dame officieuse du royaume de France puis gagne rapidement le statut de favorite officielle. C’est une nouveauté ! Les rois avaient jusque-là des maîtresses mais celles-ci se devaient de rester dans l’ombre… Charles VII lui-même a eu différentes maîtresses mais elles n’auront jamais acquis l’importance d’Agnès Sorel.

L’art de vivre et l’extravagance d’Agnès Sorel poussent la reine au second plan. Elle invente le décolleté épaules nues ; de vertigineuses pyramides surmontent sa coiffe, des traînes longues allongent ses robes bordées de fourrures précieuses. Elle traite sa peau avec onguents et crèmes. Elle maquille ses lèvres de rouge, se fait épiler les sourcils et les cheveux sur le haut du front. La mode suit Agnès Sorel et elle n’hésite pas à se rapprocher des meilleurs marchands pour se procurer ces précieux atouts. Elle devient la meilleure cliente de Jacques Cœur.

Agnès Sorel maîtrise parfaitement l’impact de son influence auprès du roi. Elle lui impose ses amis, s’acquiert la faveur de ses conseillers et se fait octroyer différents fiefs jusqu’à se faire offrir le domaine de Loches où elle fait aménager le château qui surplombe la ville.

Agnès Sorel a plusieurs enfants avec Charles VII. Elle lui donne trois filles, surnommées les bâtardes de France. Cependant, le roi légitime ses filles et les dote richement. De cette union, naît : Marie de Valois qui épouse Olivier de Coëtivy, sénéchal de Guyenne ; Charlotte de Valois qui épouse Jacques de Brézé, sénéchal de Normandie ; Jeanne de Valois qui épouse Antoine de Bueil, comte de Sancerre et chancelier du roi sous Louis XI.


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Source : Article partiellement ou en totalité issu de Wikimedia. Pour les curieux : Jean-Christophe Rufin, Le Grand Cœur, Paris, Gallimard, 2012, 497 p, (Folio n°5696).

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