samedi 31 décembre 2022

Quatrième bataille de Machecoul

 

31 décembre 1793 - Naudy contre Charette


Nous sommes en 1793, à Machecoul, en pleine guerre de Vendée. C’est la quatrième fois cette année que la ville est le théâtre de faits sanglants. Le 10 mars à l'entrée du bourg, la foule armée de fourches fait face aux gendarmes et aux gardes nationaux, c’est le «massacre». Le 22 avril ce sont les républicains (les bleus) qui s'emparent de la ville, et le 10 juin, les Vendéens reprennent possession de leur ville.
François Athanase de Charette de La Contrie
(1763-fusillé en 1796)
Huile sur toile de Paulin Guérin  (1819)
Musée de Chomet

Prélude
Le 31 décembre de cet an de grâce 1793, de retour de son expédition dans l'Anjou, Charrette (François Athanase Charrette de La Contrie, 1763-fusillé en 1796) se doute que les républicains ont profité de son absence pour planifier l'attaque de l'île de Noirmoutier. Il se porte d'abord au bourg de La Ferrière, où il envisage d'attaquer La Roche-sur-Yon, mais renonce. Il traverse alors la commune Le Poiré, puis déloge un bataillon en garnison au Pont-James, à Saint-Colombin, après un petit combat où les républicains ne perdent que trois ou quatre hommes. Le 31 décembre, Charette attaque Machecoul.
Carte de la Vendée (Bas Poitou et Pays de Retz)
Forces en présence
Au matin, la ville est encore occupée par la troupe de l'adjudant-général François Carpantier (1751-1813), mais celle-ci se porte sur Challans sur ordre du général suisse Jacques Dutruy (1762-1836).

Seuls 200 à 300 hommes du 3e bataillon de volontaires d'Ille-et-Vilaine commandés par le capitaine Naudy sont laissés à Machecoul.

L'estimation des forces vendéennes commandées par Charrette varie selon les sources. Le royaliste Urbain-René-Thomas Le Bouvier-Desmortiers (1739-1827 - homme de lettre, premier biographe de Charrette) donne 1100 hommes. L'historien Lionel Dumarcet évoque plutôt 6000 à 7000 combattants. Les mémoires anonymes d'un administrateur militaire font état de 8000 hommes. 

Déroulement
Peu sur leurs gardes, les républicains sont complètement écrasés. D'après l'administrateur militaire, les Vendéens lancent l'attaque à 4 heures de l'après-midi avec deux colonnes : l'une menée par Charrette au sud-est par la route de Legé, l'autre menée par Jean-Baptiste de Couëtus (1743-1796), bras droit de Charrette, et Hyacinthe Hervouët de La Robrie (1771-1832) au nord par la route de Nantes du côté de Saint-Même-le-Tenu. Les troupes de Charette surprennent les sentinelles, puis franchissent le pont près du château (Château de Gilles de Rais) et entrent à l'intérieur de la ville.
Le Château de Marchecoul,
gravure de Thomas Drake, vers 1850
Totalement surpris, les républicains prennent la fuite et se rallient hors de la ville, aux Moulins. Un nouveau combat s'engage mais les patriotes doivent céder au nombre. La colonne de Jean-Baptiste de Couëtus échoue à leur couper la retraite et les rescapés s'enfuient en direction du nord-ouest, vers Sainte-Pazanne et Bourgneuf-en-Retz. D'après Jean-Julien Savary, le général Michel Beaupuy (1755-1796) rallie une partie des fuyards en déroute. 

Pertes
Les pertes républicaines sont de 80 hommes selon l'administrateur militaire. Après avoir repris la ville le 2 janvier, l'adjudant-général François Carpantier fait état dans son rapport au général Jacques Dutruy, de plus de cent morts et d'un canon perdu pour le combat du 31 décembre. Urbain-René-Thomas Le Bouvier-Desmortiers donne quant à lui un bilan de 739 morts. Dans ses mémoires, l'officier vendéen Pierre-Suzanne Lucas de La Championnière (1769-1828) écrit que "Le surlendemain M. Charette attaqua Machecoul : il n'y était pas attendu et les républicains étaient peu sur leurs gardes. Un de leurs officiers disait à une femme de l'endroit : je désirerais bien voir Charette ; le voilà s'écria cette femme ; en effet, l'armée Vendéenne entrait dans Machecoul, sans qu'on s'aperçut de son arrivée. Néanmoins la résistance fut vigoureuse au dehors de la ville, mais il fallut céder au nombre ; l'ennemi abandonna une pièce de canon et s'étant jeté de droite et de gauche dans sa fuite, il fut massacré de toute part.".


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Petite histoire : il existe une chanson écrite et composée par Paul Féval en 1853 à la gloire de François-Athanase Charette de La Contrie, général de l'Armée catholique et royale du Bas-Poitou et du Pays de Retz intitulée Monsieur de Charrette, également connue sous le nom de Prends ton fusil Grégoire.
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vendredi 30 décembre 2022

Assassinat du "starets"*

 

29-30 décembre 1916 - Meurtre au Palais Ioussoupov, à Petrograd


Selon le calendrier grégorien, c'est dans la nuit du 29 au 30 décembre 1916, à Petrograd (Saint-Pétersbourg) que meurt Gregori Iefimovitch (44 ans), plus connu sous le nom de Raspoutine ("le débauché" en russe).

Il a été guérisseur, bête de sexe, gourou, conseiller occulte. Puis il a été assassiné.
Grégori Iefimovitch dit Raspoutine vers 1916.
" ...Cela se passe le vendredi 29 décembre (16 décembre dans le calendrier russe) 1916, vers dix heures du soir, dans le joli petit hôtel du prince Youssoupov. Cinq hommes et une femme sont réunis dans le salon du premier étage. Il y a là le maître de la maison, prince Youssoupov, le grand-duc Dimitri Pavlovitch, le député d'extrême droite Pourichkevitch, le frère du chevalier-garde Sergueï Soukhotine et la célèbre danseuse C…, maîtresse de l'un de ces personnages, arrivée le matin même de Moscou.

- Crois-tu qu'Il viendra? demande le grand-duc Dimitri au prince Youssoupov. 
- J'en suis à peu près certain. J'ai promis à l'infâme de lui faire passer une nuit d'orgie incomparable; il n'est pas homme à résister à cela. 
- Tant, mieux! s'exclame le député Pourichkevitch. Pour l'honneur de notre Tsar et pour l'avenir de notre sainte Russie, il faut que ce misérable disparaisse. 
- Si nous n'y mettions bon ordre, il nous jetterait bientôt dans les bras de l'Allemagne ou nous ferait tous exiler, l'Impératrice ne voit que par ses yeux, et le petit père le Tsar a si peu de volonté… 

L'hôtel du prince Youssoupov, entouré d'un grand jardin, s'étend de la Moskaïa à l'Offitzerskaïa. C'est dans la Moskaïa que donne l'entrée principale, mais il y a, sur l'Offitzerskaïa, un portail de sortie, plus particulièrement réservé aux visites secrètes et aux domestiques à côté d'un petit pavillon où la famille Youssoupov fait vendre le vin célèbre de ses grands vignobles de Crimée. C'est par ce dernier chemin que Raspoutine doit arriver. Il a insisté en effet pour que sa visite à Youssoupov passât inaperçue. Il se sait surveillé, en butte à toutes les critiques, héros des histoires les plus scandaleuses, et il ne veut pas prêter une fois de plus le flanc à la malignité de ses ennemis.
Le Prince Youssoupov et son épouse en 1921.
Onze heures du soir. Raspoutine est en retard. Les conjurés s'inquiètent. Dans le salon où ils se trouvent, l'obscurité est complète. Il ne faut pas, en effet, que le moine ait le moindre soupçon. S'il apercevait de la lumière à travers les rideaux des grandes fenêtres du premier, il se refuserait certainement à pénétrer dans l'hôtel, car c'est Youssoupov seul "et une dame qui ne doit arriver qu'à minuit" que Raspoutine doit venir voir dans le plus profond mystère. 

Onze heures vingt! Devant la porte de l'Offitzerskaïa, une automobile s'est arrêtée. Un homme en descend, vêtu d'une grande pelisse de renard bleu. Il sonne. Précipitamment, le prince Youssoupov descend ouvrir, car tout le domestique a reçu congé ce soir. 

- Entre et n'aie pas peur. Nous sommes seuls… 

Dans le vestibule, de l'hôtel, Raspoutine quitte ses galoches. (Il faut noter que nous sommes en plein mois de décembre et qu'une neige épaisse couvre le sol). 

- Où me conduis-tu? demande-t-il à son hôte. 
- Nous irons dans la salle à manger. C'est encore là où nous aurons le plus de chance d'être tranquille, répond le prince Youssoupov. Et puis, j'ai fait préparer quelques bonnes bouteilles de chez nous qui nous aideront à attendre la princesse. 

Pour accéder à la salle à manger qui se trouve au rez-de-chaussée, il faut descendre trois marches. Sur la table, deux bouteilles de vin rouge. L'une, décantée, renferme une forte dose de cyanure de potassium; la même aimable composition est entrée dans la confection des gâteaux secs, dorés et appétissants, que contient un plat d'argent. Le poison semble infaillible: il a été essayé, en effet, il y a deux heures à peine, sur le magnifique chien-loup de Pourichkevitch; la pauvre bête est tombée foudroyée et son cadavre est encore dans le jardin au pied d'un arbre. 

- Veux tu boire, beau moine? invite le prince Youssoupov dans un sourire, en tendant la bouteille décantée. 

Raspoutine a une courte hésitation, puis, négligemment:

- Non merci, répond-il, je n'ai vraiment pas soif. 

Les deux hommes se mettent à parler spiritisme, car c'est la marotte de Raspoutine que de se faire passer pour un homme surnaturel qui entretient avec les esprits commerce quotidien. Cependant, à force de converser, c'est Youssoupov qui commence à avoir soif. Il se saisit de l'une des bouteilles, l'inoffensive s'entend, se verse une rasade et, d'un trait, vide son verre. 

- Donne m'en tout de même un peu! dit alors Raspoutine. 

La conversation reprend. Le moine, qui a pris goût au vin, ne tarde pas à finir la bouteille. Entre temps, distraitement, il a goûté aux gâteaux secs et, les trouvant sans doute excellents, fait largement honneur à la pâtisserie Youssoupov. Mais il faut boire, avec les gâteaux secs. Dans le feu de l'entretien, Raspoutine oublie toute prudence et c'est lui-même qui, d'un geste décidé, prend la bouteille empoisonnée et se sert. 
Raspoutine continue à manger sans que le cyanure paraisse l'incommoder le-moins du monde! 

En face de lui, son hôte, pâle, haletant, le regarde. Pour celui qui a accumulé tant d'infamies, tant de crimes, l'heure de l'expiation a-t-elle enfin sonné?... Mais non! Raspoutine continue à manger sans que le cyanure paraisse l'incommoder le-moins du monde! Alors, Youssoupov est pris d'une violente terreur. Le mysticisme qui sommeille dans toute âme slave prend corps peu à peu. N'est-il pas vraiment surnaturel, celui qui peut impunément absorber le plus redoutable des poisons? Est-ce que Dieu, vraiment, te protégerait? Et, sur un prétexte quelconque, le prince laisse son hôte un instant et, quatre à quatre, monte l'escalier qui conduit au salon. 

- Il ne veut pas mourir! chuchote-t-il, angoissé. 
- Tu plaisantes, raille un des conjurés. Prends ce revolver et sache t'en servir; tu verras si Raspoutine se moque du plomb aussi impunément que du cyanure! 

Youssoupov a repris courage. Il saisit le revolver de la main gauche, le dissimule derrière son dos, redescend, ouvre de la main droite la porte de la salle à manger et aperçoit, le moine qui, très agité, le visage couvert de transpiration, va et vient dans la pièce en poussant des grognements sinistres et en émettant des hoquets formidables. 

- Qu'as-tu donc? 
- Je me sens très mal, répond Raspoutine, le sourcil froncé. Ton vin est agréable à boire, mais il punit ma gourmandise. 
- Ne t'inquiète pas. C'est un malaise passager. N'y pense plus et viens plutôt regarder ce magnifique objet d'art, qui te plaira. 

Ce disant, de sa main droite restée libre, Youssoupov montre, un admirable christ d'ivoire sur une console. Raspoutine s'approche. Le rustre affecte de s'y connaître en belles choses. Il a chez lui de splendides icones, dons de grandes dames, ses amies. Les deux hommes, côte à côte, examinent le chef-d'œuvre. Cependant, le prince, tout en se penchant, a pu faire passer son revolver de la main gauche dans la main droite, puis, sans attirer l'attention de Raspoutine, dirige l'arme en plein contre le cœur du "corrompu". Il tire deux fois. Raspoutine s'abat comme une masse. Le meurtrier le tâte, constate qu'il ne porte sur lui aucune arme et court retrouver ses amis. 

- Cette fois, il est bien mort 

On le félicite, on se félicite. Le grand-duc Dimitri offre d'aller chez lui - il habite tout près de là- chercher son automobile. Elle emportera le cadavre vers la Neva, où les conjurés sont convenus de le précipiter.
Dimitri Pavlovich vers 1910.
Dimitri est parti. Sur le palier du premier étage, Youssoupov, Pourichkevitch, le frère du chevalier-garde Sergueï Soukhotine et la danseuse G… se réjouissent sans remords, fiers de cette libération qui va régénérer la Russie, lorsque, brusquement, un pas lourd retentit au rez-de-chaussée. 

- On marche en bas! s'écrie Pourichkevitch. 

Un spectacle horrible s'offre à ses yeux: couvert de sang, d'une pâleur cadavérique, le moine a gravi les trois marches.
 
Il se penche sur la rampe. Là, dans le vestibule du rez-de-chaussée, un spectacle horrible s'offre à ses yeux: couvert de sang, d'une pâleur cadavérique, le moine a gravi les trois marches, enfonce péniblement les pieds dans ses galoches, s'agrippe à la porte d'entrée, réussit à l'ouvrir et sort dans le jardin.

Pourichkevitch a gardé tout son sang-froid. Tirant son revolver, il se lance à la poursuite de la victime récalcitrante, cependant que Youssoupov décroche à une panoplie une formidable massue. 
Raspoutine se hâte, autant que ses forces le lui permettent, vers le portail qui donne sur l'Offitzerskaïa. Des gouttes de sang, sur la neige du jardin, marquent son passage. Il va atteindre la grille, il l'atteint. À ce moment, trois balles du revolver de Pourichkevitch l'étendent à nouveau sur le sol, et la massue de Youssoupov lui martèle horriblement le crâne. Le front se tuméfie; un œil a sauté de l'orbite. Cette fois, c'est bien la fin.
Vladimir Pourchkevich vers 1920.
Mais des policiers - le moine ne les avait-il pas lui-même prévenus et invités à demeurer proches? - ont entendu les derniers coups de feu. Ils se présentent à la grille, exigent qu'on leur ouvre. Ils aperçoivent le cadavre, et reculent, épouvantés, en reconnaissant Raspoutine.

- Cet homme a été tué par moi, leur déclare Pourichkevitch, d'une voix calme. Ce n'est pas un crime que j'ai commis, c'est un châtiment que j'ai infligé à un ennemi de la patrie. Voici ma carte, je suis membre de la Douma.

Les policiers se retirent précipitamment, soit qu'ils aient hâte d'aller faire leur rapport à leurs supérieurs, soit que la qualité des meurtriers leur inspire une certaine prudence, soit aussi que les affole l'identité de la victime.

Cinq minutes s'écoulent. Le grand-duc Dimitri Pavlovitch revient. Son automobile est conduite par le docteur Stanislas Stanislawovitch Lazovert ami personnel de Pourichkevitch, qu'il a trouvé précisément chez lui et qui a accepté avec joie sa place dans la conjuration.

Le grand-duc a amené également une de ses ordonnances, le soldat Ivan F… , qui lui est aveuglément dévoué.

On hisse le cadavre dans la voiture où tout le monde prend place. Il est deux heures du matin. Les passants vont croire à quelque promenade de joyeux noctambules. À toute allure, le chauffeur-médecin se dirige vers le pont Potrowsky. Là, entre la deuxième et la troisième arche, on s'arrête. Le corps de Raspoutine est tiré de la voiture par le docteur Stanislas Lazovert. et le soldat Ivan F… l'un le tenant par les jambes et l'autre par les épaules. D'un effort, les deux hommes soulèvent Raspoutine, l'appuient contre la balustrade, mais, ô surprise, le moine a encore un dernier sursaut de vie et sa main droite, désespérément, s'accroche à l'épaulette du soldat et trouve assez de vigueur pour la lui arracher. Une dernière poussée. Le corps projeté va s'écraser contre un pilier puis, rebondissant, tombe sur un glaçon de la Neva, hésite, se débat encore, bascule enfin sombre dans les flots.

Justice est faite! ..."

Extrait d’un article paru dans Le Figaro du 8 août 1917. Par Charles Omessa. 

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Le cadavre est retrouvé le 30 décembre 1916 au petit matin. Gelé et recouvert d’une épaisse couche de glace entourant le manteau de castor, le cadavre est remonté à la surface de la Neva au niveau du pont Petrovsky.
 
Raspoutine est inhumé le 3 janvier 1917 (22 décembre du calendrier russe) dans une chapelle en construction, près du palais de Tsarskoïe Selo.

Au soir du 22 mars, sur ordre du nouveau Gouvernement révolutionnaire, on exhume et brûle le corps de Raspoutine, et on disperse ses cendres dans les forêts environnantes. Mais, selon la légende, seul le cercueil se serait consumé et le corps de Raspoutine serait demeuré intact malgré les flammes. 

Tous ces mythes autour du starets expliquent que plusieurs personnes vinrent par la suite récolter de l'eau dans laquelle Raspoutine avait été trouvé mort : elles espéraient ainsi recueillir un peu de son pouvoir mystérieux.

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* Définition donné par Dostoïevski dans "Les Frères Karamazov" : le starets, c'est celui qui absorbe votre âme et votre volonté dans les siennes. Ayant choisi un starets, vous abdiquez votre volonté et vous la lui remettez en toute obéissance, avec une entière résignation.
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jeudi 29 décembre 2022

Meurtre à la Cathédrale...

 

29 décembre 1170 - L'archevêque de Cantorbéry est assassiné


Le 29 décembre 1170, l'archevêque Thomas Becket (né le 21 décembre 1118 ou 1120?) est assassiné pendant qu'il célèbre la messe dans sa cathédrale de Cantorbéry*. Il s'était attiré la vindicte du roi Henri II Plantagenêt par son refus d'accepter les Constitutions de Clarendon, qui plaçaient l'Église d'Angleterre sous la tutelle du trône.
Représentation du XIXe siècle de Saint Thomas Becket
montrant une épée lui transperçant la tête.
Né à Londres d'une famille d'origine normande, Thomas Becket étudie à Paris. Rentré en Angleterre, il devient clerc à Cantorbéry, jouissant de la confiance du vieil archevêque. Il se rend pour affaires à Rome et va étudier le droit à Bologne et à Auxerre.

En 1154, il devient archidiacre et chancelier du royaume par la faveur du jeune roi Henri II. Il se montre bon administrateur et, bien que clerc, homme de guerre.

En 1159, il combat vaillamment devant Toulouse et en Normandie. Après un an de vacance du siège, Thomas est élu, en mai 1162, archevêque de Cantorbéry. Il est ordonné prêtre le 2 juin, évêque le lendemain. Sans abandonner ses goûts de faste, il se pose en défenseur des droits de l'Église contre le roi, étonné des réactions de son ancien familier.

Les relations se gâtent à tel point que le roi fait condamner l'archevêque par une assemblée tenue à Northampton en octobre 1162.

Thomas Becket a le courage de comparaître pour récuser la sentence. Il s'enfuit clandestinement en France, se fixe à l'abbaye cistercienne de Pontigny, puis, quand le roi d'Angleterre menace de se venger sur les cisterciens de ses États, à Sens.

Dans son exil, Thomas Becket mène une vie austère, mais n'abdique aucun de ses droits, qu'il défend en lançant des excommunications contre les évêques et les clercs qui ne le soutiennent pas avec assez de vigueur. Les efforts du pape pour apaiser le conflit restent vains.

Au début de décembre 1170, Thomas Becket rentre en Angleterre pour agir directement. Selon la tradition, une phrase du roi exaspéré aurait été prononcée: "N'y aura-t-il personne pour me débarrasser de ce prêtre turbulent ?" fut interprétée comme ordre par quatre chevaliers anglo-normands : Reginald Fitzurse, Hugues de Morville, Guillaume de Tracy et Richard le Breton. Ces quatre chevaliers projetèrent donc immédiatement le meurtre de l'archevêque, et le perpétrèrent près de l'autel.
Enluminure du XIIIe siècle
représentant le meurtre de Thomas Becket.
Au soir du 29 décembre 1170, ils se présentent au palais épiscopal. Les clercs et les moines conduisent l'archevêque dans la cathédrale.  Les chevaliers l'y poursuivent et veulent l'entraîner au dehors. Très fort, Thomas Becket les repousse. Ils sortent leurs épées et, au troisième coup, l'archevêque tombe devant l'autel de Notre-Dame.

Acclamé comme un martyr et canonisé le 21 février 1173, dès lors le culte du nouveau saint thaumaturge se propagea rapidement dans toute l'Europe chrétienne ; de nombreux sanctuaires lui furent dédiés et les pèlerins affluèrent vers son tombeau. Les moines du prieuré de Christ Church, qui étaient chargés des services de la cathédrale, distribuèrent largement des reliques du saint, ce qui leur permit en 1220, grâce aux offrandes des pèlerins, de transférer les restes du martyr dans une somptueuse châsse d'orfèvrerie.
Chasse conservée au Victoria and Albert
Museum de Londres.
Au début du XVIe siècle le roi Henri VIII détruit les reliques de saint Thomas Becket présentes au sein de la cathédrale de Cantorbéry2. Elles étaient placées dans des châsses réalisées à cette intention à Limoges, centre de production d'objets en émail champlevé.

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* Cantorbéry en français, Canterbury en anglais
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La Marquise de Pompadour

 

29 décembre 1721 - Une future Marquise "is born"


Une voyante lui avait prédit son destin mais personne n’y croyait, sauf elle. Le 10 septembre 1745, Jeanne-Antoinette Poisson s'installe à Versailles dans un appartement situé juste au-dessus de celui de Louis XV et devient la Favorite du roi alors qu'elle n'est qu'une roturière. Elle restera auprès de lui jusqu’à sa mort en 1764. Par amour, Louis XV fera construire pour elle le Petit Trianon, véritable havre de paix.
La Marquise de Pompadour
par Maurice Quentin de La Tour
(Musée du Louvre, Paris)
Future marquise de Pompadour, Jeanne-Antoinette Lenormant d’Étiolles, née le 29 décembre 1721 dans une famille simplement bourgeoise, sous le nom de Jeanne-Antoinette Poisson, rencontre Louis XV à Versailles en 1745. Elle est invitée au grand bal masqué donné pour le mariage du dauphin Louis-Ferdinand. Le Roi s’éprend d’elle et l’installe la même année au château de Versailles, dans un appartement situé au-dessus du sien. Un escalier secret permet à Louis XV de s’y rendre, à l’abri des regards. En juillet, il lui offre le domaine de Pompadour, la favorite devient marquise et est officiellement présentée à la Cour en septembre 1745. Mais ses origines bourgeoises et non nobles – elle est la fille d’un conducteur du service des vivres – lui attirent rapidement les critiques des milieux aristocratiques. Pour Versailles, elle n’est qu’une parvenue infréquentable. Toute la Cour n’espère qu’une chose : qu’elle ne reste pas longtemps dans les bras du roi. Pourtant, elle arrive à faire nommer son frère, le marquis de Marigny, directeur général des Bâtiments du roi.
Le Petit Trianon, Façade Est
(Château de Versailles)
Elle apporte à Versailles, l’esprit de Paris, et apprend au roi à aimer le théâtre. Elle est d’une telle intelligente que Louis XV lui laisse distribuer les places centrales dans l’organisation de la monarchie et elle gagne même le respect de la reine Marie Leszczynska. Mais le Dauphin Louis-Ferdinand ne s’y fait pas et lui reste très hostile jusqu’à la surnommer "Maman Putain !". 

La Marquise est une grande protectrice des Arts et des Lettres. Elle fait d’ailleurs tout son possible pour éviter la censure à l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert dont elle fait publier des deux premiers tomes en 1751. Elle protège Voltaire (qui lui doit son fauteuil d'académicien) de la critique, Montesquieu et permet aux philosophes de critiquer le régime en place en faisant l'éloge du système politique anglais et en prônant une monarchie éclairée. Si on la voit sur un tableau, ce n'est pas une fleur en main, mais à côté d'un globe, d'une partition de musique ou d'une pile de livres. 

Cela dit, si la marquise a les faveurs du roi, elle sait que sa position ne tient qu’à l'amour qu'il lui porte. Et il commence à lui reprocher son manque de sensualité. Elle décide donc de se gaver de chocolats, d’aphrodisiaques, de truffes. Mais rien n’y fait puisqu’il s’agit en réalité d’un problème gynécologique qui lui rend les rapports sexuels douloureux. D’amante, elle décide donc de devenir l’amie nécessaire, la confidente précieuse qui s’éloignera du corps du roi, pour mieux le dominer par l’esprit. Et pour ne pas être éclipsée par une autre femme, elle choisit elle-même les maîtresses de Louis XV : des fillettes douces et belles, légèrement instruites, mais jamais aussi intelligentes qu'elle. Résultat : moins elle est traitée en maîtresse, plus elle agit en souveraine : elle contrôle les ministres, conseille les ambassadeurs, parlent aux généraux et finit par tenir, le rôle de ministre de la Culture. 

En 1753, Louis XV lui achète l’hôtel d’Évreux, aujourd’hui palais de l’Élysée, pour ses séjours parisiens. Elle partage alors son temps entre la capitale et son château de Bellevue, à Meudon. 

Le 5 janvier 1757, le roi est poignardé. Et si l’accident est sans gravité il rappelle à La Marquise la précarité de sa situation. Ne sachant pas si le roi va survivre, on la somme de quitter Versailles sur le champ. Mais la maréchale Mirepoix, son amie, la retient "Qui quitte la partie la perd". Elle reste donc et finit par apprendre que le roi va bien.
Louis XV, roi de France et de Navarre de 1715 à 1774 
pastel de Quentin de La Tour (1748)
À 42 ans, la Marquise meurt de la tuberculose après s'être plaint des dizaines de fois des courants d'air à Versailles et du froid qu'il y règne. Sa mort la ramène une dernière fois à sa condition : l’étiquette interdit au roi de se rendre à ses funérailles. Le roi regrette déjà son "amie de vingt ans". 

La légende raconte d’ailleurs, que c’est depuis une fenêtre du château qu’il voit passer le convoi funèbre les larmes aux yeux tout en déclarant avec plein d'amertume : "Voilà les seuls devoirs que j’ai pu lui rendre".

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Un écossais 1er ministre de sa Majesté

 

29 décembre 1809 - William Gladstone voit le jour à Liverpool


William Ewart Gladstone naît à Liverpool le 29 décembre 1809, dans la famille d'un riche marchand écossais propriétaire de plantations sucrière aux Caraïbes. Premier ministre de Sa Majesté, il se flattera plus tard de n'avoir "pas une goutte de sang anglais dans les veines" ! Un écossais pure souche !
William Ewart Gladstone en 1861 (1809-1898)
Après des études à Eton et Oxford, il est élu député conservateur (tory) à la Chambre des Communes à l'âge de 23 ans à peine.

On est alors en plein débat autour de l'esclavage et le jeune député, par fidélité familiale, prononce un fervent plaidoyer en faveur de l'odieuse institution dans le premier discours de sa carrière parlementaire. 

William Gladstone devient en 1835 Secrétaire d'État à la Guerre et aux Colonies.

Ministre du Commerce dans le gouvernement de Robert Peel, en 1841-1842, il plaide encore pour le libre-échange et l'abrogation des corn-laws qui vise à favoriser l'importation de céréales à bas prix au détriment des cultivateurs anglais. Mais cette question divise le parti conservateur et entraîne la chute du gouvernement en 1846.

À cette occasion se fait jour l'inusable rivalité entre William Gladstone et Benjamin Disraeli, chef du courant conservateur hostile au libre-échange. Tout sépare ces deux hommes, sauf le désir de servir la Couronne. 

D'une grande curiosité intellectuelle, Gladstone se passionne pour saint Augustin, Dante et également Homère, auquel il consacre cinq livres.

Animé par des convictions religieuses très rigides, il lui arrive aussi de racoler des prostituées dans les bas-fonds de Londres pour leur lire la Bible et les remettre sur le droit chemin, ce qui n'est pas sans susciter des sarcasmes chez ses adversaires. 

Après son passage dans le gouvernement Peel, Gladstone participe encore à d'autres gouvernements tories. Mais ses convictions religieuses et ses options libérales en matière d'économie le conduisent à s'éloigner des conservateurs et se rapprocher des whigs, qui forment l'autre grand parti anglais. En 1859, il forme avec eux le parti libéral. 

Chancelier de l'Échiquier (ministre de l'Économie) dans le dernier gouvernement de lord Palmerston (1858-1866), il a enfin la satisfaction de conclure le traité de libre-échange avec la France.

Palmerston meurt à la tâche à 81 ans. À sa génération succède celle de Gladstone et Disraeli...
William Ewart Gladstone en 1879 (1809-1898)
Le 9 décembre 1868 Gladstone devient enfin Premier ministre en qualité de chef du parti libéral. Il se nommera lui-même comme un libéral austère

L'un des premiers défis qu'il doit relever est la pacification de l'Irlande. Il promet l'autonomie (Home Rule) à ses habitants, ce qui a pour effet d'entraîner une scission dans son propre parti.
 
Après cette première expérience, il repart en campagne en 1879 en dénonçant les ambitions impérialistes et coloniales de son rival Disraeli, chef du parti conservateur, et ironise sur le titre d'Impératrice des Indes qu'il a offert à la reine Victoria.
 
Vainqueur des législatives, il forme un deuxième gouvernement le 23 avril 1880. À cette occasion, il parfait la démocratie en introduisant le vote à bulletin secret. En 1884, il complète aussi les réformes de Disraeli par une troisième loi électorale qui donne aux ruraux les mêmes droits que les citadins.
 
Il retire les troupes britanniques d'Afghanistan et du Transvaal, deux pays où elles sont en difficulté. Par contre, à contrecœur et en rupture avec ses convictions, il instaure le protectorat britannique sur l'Égypte.
 
Manque de chance, il va être renversé le 9 juin 1885 pour ne pas avoir secouru à temps le général Gordon, assiégé à Khartoum, dans le Soudan anglo-égyptien, par des insurgés locaux.

L'émotion passée, il retrouve son fauteuil de Premier ministre pendant quelques mois (1er février 1886 - 28 juillet 1886) et une dernière fois le 15 août 1892.
William Ewart Gladstone en 1892 (1809-1898)
Gladstone forme alors son dernier gouvernement à l'âge de 82 ans. Le parti libéral se rapprochait de la gauche et adoptait des mesures en faveur de l'État providence tout en contenant son aile impérialiste. Du fait de son opposition à l'augmentation des dépenses navales militaires, Gladstone démissionne en mars 1894 et son secrétaire aux Affaires étrangères, Lord Rosebery, lui succéde. Il quitte le Parlement en 1895 et meurt trois ans plus tard à l'âge de 88 ans, le 19 mai 1898, dans sa propriété d'Hawarden (Flinshire, Angleterre).

Petite anecdote : la reine Victoria n’a jamais aimé Gladstone, "ce vieil homme sauvage et incompréhensible", alors qu'elle appréciait énormément Benjamin Disraeli. C'est au point que, contre l'usage, elle lui refusait un siège lors de ses visites protocolaires en qualité de Premier ministre... à l'exception de la dernière, par pitié pour le vieil homme.

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