Catherine de Bourbon (1558-1604)


La petite sœur continuellement sacrifiée

Portrait au crayon de Catherine de Bourbon 
par Nicolas Quesnel
L'existence de Catherine de Bourbon, princesse de Navarre, duchesse d'Albret, comtesse d'Armagnac et de Rodez, vicomtesse de Limoges et de Fezenzaguet, est vraiment singulière.

Fille de Jeanne d'Albret, reine de Navarre, et d'Antoine de Bourbon, duc de Vendôme, sœur d'Henri IV, elle naquit à Paris le 7 février 1558. A cette époque La reine Jeanne d'Albret occupait alors, rue des Francs-Bourgeois, n° 7, l'aile de la maison située entre la deuxième cour et le jardin. Au premier étage, au-dessus de l'entresol, il y a encore un salon du temps de la reine Jeanne, décoré de peintures et de panneaux en laque et de glaces, auquel on n'a point touché.

Elevée au milieu des discordes religieuses et des guerres civiles, et instruite par sa mère dans la croyance protestante, cette princesse fut, pendant toute sa vie, en lutte entre son devoir et ses affections, entre son bonheur et sa conscience. Dans cette alternative continuelle, elle n'hésita-jamais, et son âme énergiquement trempée résista à la fois et aux conseils et à l'exemple d'un frère tendrement aimé, et brava les prières, les injonctions et les frayeurs d'un mari catholique et amoureux.

Sacrifice continuellement offert à la froide politique, Catherine se vit tour à tour recherchée par le duc d'Alençon, par Henri III, par le duc de Lorraine , par le roi d'Espagne , par le prince de Condé, par le comte de Soissons et par le duc de Montpensier ; et après tant d'alliances illustres projetées puis rompues, la raison d'État la livra au duc de Bar, malgré les dernières recommandations de de sa mère Jeanne d'Albret, malgré l'amour du comte de Soissons, malgré les larmes de Catherine, malgré sa religion.

Catherine enfant fut ramenée dans le Béarn, où elle grandit à côté de son frère. C'est là qu'au milieu des montagnes de ce beau pays, elle s'habitua à vivre d'une vie rude et frugale. C'est là encore qu'elle reçut, sous l'influence de sa mère, les enseignements des ministres réfugiés à Pau, et quelle puisa dans leurs leçons celte volonté, dirai-je cet entêtement , qui devait tant contribuer aux douleurs de son existence, en la rendant, auprès de son frère et de son mari, la protectrice des persécutés de son parti et de sa religion.

Lorsque le mariage projeté d'Henri et de Marguerite de Valois fut sur le point de s'accomplir, la reine Jeanne d'Albret, suivie de sa fille, quitta son royaume pour se rendre à Paris. Arrivée à Tours, la jeune princesse écrivait le 21 février 1572 au roi son frère :

« Monsieur, j'ai veu Madame que j'ay trouvé fort belle, et eusse « bien désiré que vous l'eussiés veue. Je luy ay bien parlé pour vous, qu'elle vous tint en sa bonne grace, ce qu'elle m'a promis. Et m'a fait bien bonne chère, et m'a donné un beau petit chien que j'aime bien. »

Les prières de Catherine eurent , on le sait, bien peu d'efficacité, car sa nouvelle sœur, son égale en esprit et en talent, sa souveraine en beauté, ne sut pas respecter la foi conjugale et donna au monde le spectacle scandaleux d'amours faciles et changeantes.

Revenue dans son pays, qu'elle ne devait plus quitter de longtemps, la princesse fut, en 1577, déclarée, par son frère, régente du royaume de Navarre, et sous ses ordres Bernard de Montaut, sieur de Bénac, succéda à Miossens, comme lieutenant général de Béarn. Catherine prit dès lors une part active à l'administration, et veilla avec la plus grande sollicitude, pendant les guerres de la Ligue, à la défense du pays. La correspondance qu'elle échangeait jour par jour avec M. de Saint-Geniès, M. de Poyanne, M. de Meslon, M. d'Expalungue et les autres officiers d'Henri IV, donne de précieux renseignements sur les divers mouvements des partis ennemis, et montre en même temps la vigilance et les soins de la régente.

Généreuse toujours, elle accueillait les proscrits de tous pays et leur ouvrait son palais. Antonio Pérez, fugitif et exilé, y trouva un asile assuré contre la colère et les vengeances de Philippe II, son ancien maître.

Ce fut vers 1587 que commencèrent les amours de Catherine et de son cousin Charles de Bourbon, comte de Soissons, un brillant cavalier et d'une grande élégance. Le roi de Navarre, désireux d'attacher à son parti un seigneur aussi influent, sembla d'abord le favoriser et parut même disposé à consentir au mariage ; mais il changea bientôt de système, et, prétendant avoir à se plaindre du comte de Soissons, il ne songea plus qu'à traverser les desseins des deux amants. Il luttait contre forte partie, d'autant plus que son ancienne maîtresse, Corisandre, la belle comtesse de Guiche, pour se venger de ses infidélités, faisait cause commune avec la princesse de Navarre, et protégeait ses amours. Catherine avait alors trente-quatre ans. Le mariage fut résolu, et ce, malgré les défenses du roi. Le comte de Soissons, sous le prétexte d'aller voir à Nogent sa mère, la princesse de Condé, dangereusement malade, obtint la permission de quitter l'armée. Profitant de ce congé, il se rendit en secret à Pau pour épouser la princesse. Henri IV, averti à temps, écrivit deux lettres à M. de Ravignan, premier président du parlement de Béarn, et lui commanda d'empêcher par tous les moyens ce mariage impossible. Ses ordres furent exécutés. Le roi néanmoins crut prudent de faire venir sa sœur auprès de lui. Ces événements se passaient en 1592.

Catherine désolée se rendit à Tours, puis à Chartres, où son frère vint la rejoindre. Sully fut alors chargé par son maître d'une mission singulièrement délicate ; c'était d'amener la princesse à oublier et ses amours et son amant. Il échoua dans sa négociation et ne recueillit qu'une verte algarade, dont le roi lui-même eut sa part. Le ministre fut plus heureux auprès de Charles de Bourbon, qu'il fit renoncer à ses projets. En véritable égoïste, Henri IV se donnait pour ses méfaits amoureux une absolution générale, et à l'occasion ne craignait pas, dans les douloureux moments d'un deuil nouveau, de réclamer des consolations de sa sœur dont il avait brisé le cœur, et il lui écrivait ces mots :

« La racine de mon amour est morte, elle ne rejettera plus ; mais celle de mon amitié sera toujours verte pour vous, ma chère sœur, que je baise un million de fois ! »

Portrait de Catherine de Bourbon 
par Amélie de la Noue Cordelier, XIXe siècle.
Au seizième siècle, la France, épuisée par les longues guerres de François Ier et de ses successeurs, déchirée par les dissensions religieuses et les discordes civiles, sans commerce, sans industrie, était ruinée complètement. Roi et peuple souffraient également de la même gène, qu'augmentait à la fois et l’avilissement de l'argent, conséquence de la découverte de l’Amérique, et l'élévation du prix de toutes choses, suite nécessaire de l'accroissement du numéraire. Henri IV, roi de Navarre et chef des protestants, était souvent réduit aux expédients. Il réclamait plus d'une fois à sa sœur le payement de ses pensions, et celle-ci, à son tour, pressait le trésorier Forget, leur secrétaire des finances. Les moyens que ce dernier employa ne devaient pas être bien énergiques, car, la même disette se faisant toujours sentir, le roi de Navarre, de plus en plus nécessiteux, alla jusqu'à mettre en gage ses joyaux et ceux de sa sœur. Un sieur Jean-Baptiste Rota, se disant citoyen grison, prêta au roi 3,000 écus d'or au coin de France. Théodore de Bèze fut l'intermédiaire dans cette affaire, et il reçut en dépôt, pour la garantie de la somme prêtée par Rota, les bijoux suivants :

"Un grand saphir de couleur d'Orient, hors d'œuvre, taillé en table à huit pentes, le dessous en degré ; une grande bague où il y a un grand diamant et quatre rubis, à mettre au chapeau ; une grande table de diamant, garnie de quatre rubis en table, et une pièce à chaton."

Ce fut à grand ‘peine que Catherine rentra, quelques années plus tard, dans la possession de ses rubis ; et là ne s'arrêtèrent pas ses tribulations. Elle vit encore ses diamants saisis par ses créanciers, contre lesquels elle fut toute sa vie obligée de plaider. Les créanciers de sa mère la poursuivirent à leur tour, et, à cette occasion, elle fut contrainte, en 1598, de solliciter elle-même Simon Marion, avocat général au parlement de Paris, pour l'engager à repousser les prétentions d'un sieur Boesdron.

La princesse se vit encore réduite, au milieu de ces attaques diverses, à réclamer à son frère, devenu roi de France, sa part dans l'héritage maternel. Henri lui écrivit à ce sujet une lettre fort habile, qui pourrait bien être l'œuvre de Sully. Bans cette réponse aux plaintes de Catherine, il lui offrait : d'assembler deux personnes de chaque côté pour estimer à la fois et les biens et les dettes de la maison; et il terminait en lui promettant de la mettre en possession des choses qui lui appartenaient. L'inévitable Rosny devait être chargé de toute cette négociation.

Henri IV se montra cependant généreux pour sa sœur. En 1596, il lui lit don de la seigneurie d'Olinville ; l'année précédente, il lui avait accordé la recherche des déchets du sel. A cette occasion, la princesse recommandait en ces termes l'affaire à M. de Baudry, trésorier de Touraine :

"Je m'asseure que vous ferés tout ce qui sera en vous pour en faire ressortir quelque fruict de qûoy je me puisse ayder et subvenir à la nécessité de ma maison, qui est maintenant grande à cause des grandes despenses qu'il me convient faire chascun jour, lit pourtant je vous prie avoir cest affaire en recommandation. Comme aussi ung autre duquel le présent porteur vous parlera et priera de ma part et à MM. les trésoriers généraulx, vos confrères. C'est pour l'establissement de certaines chambres à sel en greniers. Cela m'importe d'autant que le Roy, mon seigneur et frère, m'a faict don de la finance qui en proviendra."

Cette création des chambres à sel en greniers rencontra une certaine opposition de la part des chambres des comptes de province, et la pauvre princesse, toujours impatiente, priait et pressait en vain les gens de finances, par métier assez indifférents à la misère qu'elle leur étalait.

Elle obtint encore une autre faveur. Elle reçut de la munificence royale les amendes et confiscations des faux monnayeurs et des transports d'or et d'argent hors du royaume. Grâce à cette nouvelle ressource, et à un édit d'augmentation, dans les corps d'arts et de métiers dont la finance lui fut réservée, la princesse put vivre enfin et subvenir aux dépenses assez modestes de sa maison.

Après avoir été, ainsi que nous l'avons dit plus haut, promise successivement à tant de princes de religion et de situation différentes, Madame, sœur du roi, n'était point encore mariée, et pensant toujours au brillant comte de Soissons, elle voyait avec effroi l'instant où la politique la forcerait à quitter la cour de France.

Elle avait déjà quarante ans lorsque, la paix venant à être signée entre le roi et la Lorraine, son mariage avec le duc de Bar fut résolu. Il fallut obéir. Ce ne fut pas sans une amère douleur que Catherine renonça à ses anciennes illusions et se vit contrainte d'accepter un mari catholique, aussi effrayé qu'elle- même de l'étrangeté de cette union, qui violait la loi canonique et dont le pape était l'adversaire.

Les fêtes du mariage furent magnifiques. Le roi donna à sa sœur quarante mille écus pour son manteau royal et ses présents ; et un impôt nouveau, frappé en Barrois rappela aux populations du duché l'élévation récente de la maison de Lorraine.

A peine arrivée à Nancy, la nouvelle duchesse dut se résigner à engager tout à la fois la lutte et contre son beau-père, le duc Charles III, et contre son époux, réunis et ligués contre elle par l'ardeur de leurs convictions religieuses. Elle fut obligée d'assister à des conférences de théologiens catholiques qui s'efforcèrent inutilement de la convaincre. Le cardinal Du Perron se joignit à eux et ne fui pas plus heureux. La princesse écoutait, mais à la grande joie de ses amis, ses coreligionnaires, et, malgré le bref du pape, Clément VIII, ne se convertissait pas. Bien plus, elle s'en moquait et elle écrivait à Du Plessis Mornai : "qu'elle iroit à la messe lorsqu'il seroit pape". Cet entêtement froissait Henri IV lui-même, qui était obligé de faire négocier, à Rome, par ses ambassadeurs, pour obtenir la levée de l'excommunication et les dispenses nécessaires pour la validité de cette union. En même temps il devenait le confident des souffrances de Catherine, qui lui écrivait des lettres charmantes, où elle révèle à la fois et les douleurs de son âme, et l'amitié si vive qu'elle ressent pour son frère, son dernier protecteur.

Le duc de Bar, effrayé de l'obstination delà princesse, avait rompu avec elle ; mais, quoique obéissant aux terreurs de sa conscience, toujours amoureux, il se rendit en secret à Borne pendant le jubilé de 1600, pour se faire absoudre de ce mariage contracté malgré la différence de religion. Secondé par l'ambassadeur de France, il obtint facilement ce qu'il demandait, et il s'empressa de revenir en Lorraine. Cette réconciliation fut, dit-on, la cause de la mort de la princesse, qui avait le désir le plus grand de devenir mère. Elle mourut le 13 février 1604, à l'âge de quarante-cinq ans, regrettée vivement et par son frère et par le duc son époux. Catherine habitait alors, près de Nancy, le château de Sans-Soucy, que les gens du pays appelaient la Malgrange depuis que la princesse y pratiquait la religion réformée. Il paraît même que pour ce motif son corps ne fut pas déposé dans le tombeau des ducs de Lorraine, et la sœur du roi de France fut enterrée, presque en secret, dans le parc du château.

Extrait de "Lettres inédites de Catherine de Bourbon, princesse de Navarre", recueillies par Ernest de Fréville - p 127 à 135

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