20 mars 1811 - Naissance du Roi de Rome
Marie-Louise et son fils par Gérard |
"Le 19 mars vers 20 h, il [Napoléon] attend avec la cour, dans la salle de spectacle des Tuileries. Il a chaud. Il s'approche du grand-duc de Würzburg et du prince Eugène, qui viennent d'arriver à Paris pour être les témoins de la naissance.
Il s'impatiente, quand tout à coup la duchesse de Montebello, veuve du maréchal Lannes, dame d'honneur de Marie-Louise, apparaît. Il ne l'aime pas. Il l'a nommé en souvenir de Lannes...
Il entend Mme de Montebello annoncer avec solennité que Marie-Louise a ses premières douleurs.
Napoléon ordonne aux hommes présents de revêtir leurs uniformes. Il faut que la naissance se déroule conformément à l’étiquette qu’il a prévue. Bientôt, les salons sont remplis par plus de deux cents personnes.
Il entre dans la chambre envahie par six médecins. Il n'a jamais éprouvé cela, cette tendresse pour une femme qui souffre de la vie qu'elle porte. Il lui prend le bras, la soutient, marche à petits pas avec elle. Il la sent se calmer. Il l’aide à se coucher, à s’endormir.
Il traverse les salons où les dignitaires somnolent, ordonne qu'on serve à souper. Il a chaud. Il prend un bain. Il voudrait agir, et cette impuissance à laquelle il est réduit l'irrite. Il dicte toute la nuit.
A 8 h, alors que le jour est déjà clair, le docteur Dubois se précipite, éperdu, pâle. Il est tout à coup glacé.
- Eh bien, est-ce qu'elle est morte? lance-t-il. Si elle est morte on l'enterrera.
Il n'éprouve rien. Il est un bloc de pierre. Il a l'habitude de l'imprévisible et de la mort.
Dubois balbutie. L’enfant se présente mal. On a envoyé chercher Corvisart. L'Empereur peut-il descendre auprès de l'Impératrice?
- Pourquoi voulez-vous que je descende? Y-a-t-il du danger?
Il dévisage Dubois, qui semble avoir perdu tout contrôle de lui-même. Dubois murmure qu’il faudrait utiliser les fers, qu'il a déjà délivré des femmes dont les enfants se présentaient ainsi.
-Eh bien, comment avez-vous fait? Je n'y était pas ; procédez dans celui-ci comme dans les autres ; prenez votre courage à deux mains.
Il tape sur l'épaule de Dubois, le pousse hors de son cabinet de travail.
- Et supposez que vous n’accouchez pas l’Impératrice, mais une bourgeoise de la rue Saint-Denis.
Avant d'entrer dans la chambre de l'Impératrice, Dubois s'arrête.
- Puisque Votre Majesté le permet, je vais le faire, dit-il.
Le médecin hésite, puis murmure qu’il faudra peut-être choisir l’un ou l’autre.
- La mère, c’est son droit, répond Napoléon.
Ainsi peut-être l'aura-t-il ce fils qu'il a tant espéré. Il saisit la main de Marie-Louise. Elle crie, se tord. Il voit approcher les docteurs Corvisart, Yvan, Bourdier. Elle hurle pendant que Dubois prépare les fers.
Napoléon ne peut rester spectateur impuissant. Il s’enferme dans son cabinet de toilette. Il entend les hurlements de Marie-Louise. La porte s’ouvre. Il essaie de lire sur le visage du docteur Yvan. Le médecin murmure que l’impératrice est délivrée.
Il voit sur le tapis de la chambre le corps de l’enfant qui gît, inerte, mort.
Il saisit la main de Marie-Louise, l’embrasse. Il ne regarde plus.
C’est ainsi. Il n'aura pas de fils.
Il reste immobile en caressant le visage de Marie-Louise. Il a les yeux fixes.
Tout à coup, un vagissement.
Il se redresse.
L’enfant est enveloppé de linges chauds sur les genoux de Mme de Montesquiou qui continue de le frictionner, puis lui introduit dans la bouche quelques gouttes d’eau de vie.
L’enfant crie à nouveau.
Napoléon le prend, le soulève. C’est comme le soleil qui surgit un matin de victoire.
Il a un fils.
Il est 9 h 20 du matin, ce mercredi 20 mars 1811." (*)
Constitutionnellement paré du titre de "Prince impérial", il reçoit en outre celui de "Roi de Rome". Fils unique de Napoléon et de Marie-Louise, il a pour prénoms Napoléon François Joseph Charles et est baptisé le 9 juin 1811 en la cathédrale Notre-Dame de Paris avec le même cérémonial utilisé pour le baptême du fils ainé de Louis XVI, dauphin de France. Une semaine de réjouissances s'en suit, et l'Empereur ordonne que des Te deum soient chantés dans tout l'Empire.
En 1814, après la campagne de France et la prise de Paris, l'empereur abdique le 4 avril en faveur de son fils. Le Roi de Rome devient à 3 ans, et ce pour quelques jours, empereur des Français sous le nom de Napoléon II. Cependant, deux jours plus tard, le 6 avril 1814, son père rédige un acte d'abdication pour lui et ses descendants. Le traité de Fontainebleau du 11 avril 1814 lui octroie le titre de Prince de Parme. Un an plus tard, le retour de son père en France (les Cent-Jours) redonne au Roi de Rome son titre de Prince Impérial, mais la défaite de Waterloo contraint Napoléon 1er à abdiquer de nouveau en sa faveur. Le gouvernement provisoire de Fouché fera comme si de rien n'était et les chambres refuseront de le proclamer. Quoiqu'il en soit, il restera pour l'histoire celui qui a "régné" 20 jours, du 22 juin au 7 juillet 1815.
Vivant à Vienne depuis le mois d'avril 1814, le Roi de Rome est confié à son grand-père l'empereur d'Autriche François 1er qui marque une grande affection pour lui. En 1818, il est titré duc de Reichstadt, du nom d'une terre de Bohème. Il est considéré dès lors comme un prince autrichien. Durant son adolescence, celui que l'on appelle désormais François (Frantz), est très proche de sa tante l'archiduchesse Sophie, et mère du futur François-Joseph 1er. En 1822, l'empereur François 1er le nomme Caporal, puis capitaine six ans plus tard. Cependant, même si le jeune duc de Reichstadt vit à Vienne, il n'en reste pas moins l'héritier du trône impérial français pour les Bonapartistes, et notamment après la mort de son père à Sainte-Hélène en 1821. A partir de ce moment, le fils de Napoléon devient autant un objet de peurs que de fascination pour la plupart des monarchies européennes et des souverains français qui craignent son retour en France.
Cependant, en 1832, âgé seulement de 21 ans, le duc de Reichstadt tombe gravement malade. Les médecins diagnostiquent une tuberculose. Il meurt le 22 juillet au palais de Schönbrunn, sans alliance ni postérité.
Inhumé dans la crypte des capucins, à Vienne, considéré comme la nécropole des Habsbourg, Napoléon II connaît lui aussi son "retour des Cendres", mais moins glorieux que celui de son père. Soucieux d'améliorer son image aux yeux des Français, Hitler décide en 1940, de restituer le corps à la France. L'Aiglon (surnom donné par Victor Hugo, dans un de ses poèmes écrit en 1852)** entre à son tour aux Invalides, ironie de l'Histoire : lui aussi un 15 décembre.
______________________________
* - Extrait du Napoléon de Max Gallo - Tome 3 - L'empereur des rois (Robert Laffont)
** - En 1900, l'écrivain Edmond Rostand lui rend hommage en en faisant le personnage principal d'une pièce de théâtre intitulée L'Aiglon. C'est sous cette dénomination que la postérité a retenu le passage éclair sur terre de ce jeune homme qui disait lui-même : "Ma naissance et ma mort, voilà toute mon histoire".
______________________________