7 juin 1788 - Les prémices de la Révolution française.
Le 7 juin 1788, les habitants de Grenoble, défient les troupes du roi. Juchés sur les toits de leurs maisons, ils jettent des tuiles sur les soldats qui avaient reçu l'ordre de disperser les parlementaires de la province.
La journée des Tuiles par Alexandre Debelle (musée de la Révolution française). |
Ça s'est passé il y a deux cent trente-six ans.
Cet accès de colère résulte d'un bras de fer entre le gouvernement de Louis XVI, ruiné, et une poignée de privilégiés, dont les parlementaires eux-mêmes, hostiles à toute réforme... Ce sont les prémices de la Révolution française.
À son avènement, en 1774, le roi Louis XVI a choisi un ministre des finances compétent, Turgot, pour faire face à la crise financière et réformer l'État. Mais, sous la pression des privilégiés et de la Cour, il a été obligé de le renvoyer.
D'année en année, la situation financière de l'État n'a fait que s'aggraver, cependant que se durcissait la résistance des privilégiés, au premier rang desquels les magistrats des parlements.
Non sans raison, les parlementaires rappellent qu'un impôt perpétuel ne peut être édicté que par les états généraux. Et voilà qu'ils réclament la convocation de cette assemblée d'origine médiévale, qui réunit des représentants des trois ordres du royaume (clergé, noblesse et tiers état) !
Le nouveau ministre Loménie de Brienne, embarrassé, obtient du roi qu'il exile les parlementaires parisiens à Troyes le 10 août 1787. L'exil vaut aux parlementaires un surcroît de popularité.
Finalement, ils reviennent à Paris sous les applaudissements et reprennent les débats en vue d'une simple prolongation de l'impôt des "deux vingtièmes" créé quelques années plus tôt pour les besoins de la guerre contre l'Angleterre. Le gouvernement, qui a besoin d'eux pour enregistrer la loi, n'a pas le choix.
Le 19 septembre, les parlementaires reviennent à Paris sous les applaudissements. Dans l'obligation de combler au plus vite le déficit des finances, le roi leur demande d'enregistrer un édit établissant un emprunt de 420 millions de livres (la monnaie de l'époque).
Comme les discussions s'éternisent, Louis XVI transforme la séance du 19 novembre 1787 en "lit de justice". Cette procédure exceptionnelle lui permet d'imposer l'enregistrement de l'édit. À son cousin, le duc d'Orléans, qui conteste avec effronterie la légalité de la décision, Louis XVI répond : "C'est légal parce que je le veux". Et par une lettre de cachet, il exile le duc à Villers-Cotterêts.
Le 4 janvier 1788, Adrien Duport, conseiller au Parlement, émet un réquisitoire contre les lettres de cachet, qui permettent au roi d'emprisonner quelqu'un sans jugement. Il forme aussi un comité de 30 membres en vue de promouvoir les états généraux et de les démocratiser, par l'abolition de la distinction des trois ordres. Mais son initiative reste pour l'heure isolée.
Le 3 mai 1788, le Parlement de Paris entre en rébellion. Il publie une "déclaration des droits de la Nation" et réclame la convocation des états généraux. En attendant, il invite les contribuables à refuser d'acquitter les "deux vingtièmes". C'en est trop pour le roi et ses ministres qui envisagent d'en finir et de renvoyer une bonne fois pour toutes les parlements.
Adrien Duport anime le "parti des Américains, Anglomanes ou Patriotes". Il s'agit d'un groupe de libéraux qui se recrute dans les hautes classes de la société (grande noblesse, haute bourgeoisie, robins ou parlementaires). Parmi eux le marquis de La Fayette, le président du Parlement de Paris Lepelletier de Saint-Fargeau, l'avocat Hérault de Séchelles, le marquis de Condorcet, le comte de Mirabeau ou encore l'abbé Sieyès. Ces personnages se réunissent tantôt chez Duport, tantôt chez La Fayette et forment le projet de mettre en place une monarchie constitutionnelle à l'anglaise...
Là-dessus, le garde des sceaux Lamoignon fait passer plusieurs édits qui humanisent et modernisent la justice. Ces édits irritent au plus haut point les parlements qui craignent une nouvelle fois pour leurs privilèges. La colère gagne tout le pays et s'étend à la petite bourgeoisie des villes. Cette colère est particulièrement vive dans le Dauphiné, au cœur des Alpes, où l'activité industrielle a engendré une bourgeoisie dynamique.
Le Parlement de Grenoble ayant protesté contre les édits de Lamoignon, il est mis en vacances. Le président Bérulle réunit néanmoins chez lui le 20 mai 1788 les magistrats. Il leur fait valoir la menace qui pèse sur leurs privilèges. Il en vient à affirmer que que si les édits de Lamoignon étaient maintenus, "le parlement du Dauphiné se regarderait comme entièrement dégagé de sa fidélité envers son souverain" . Les bourgeois crient alors : "Vive la Nation !"
Qu'à cela ne tienne, le 7 juin 1788, le duc de Clermont-Tonnerre, lieutenant général de la province, confie à des patrouilles de soldats du régiment Royal-Marine des lettres de cachet à remettre aux parlementaires en vue de les envoyer sur leurs terres.
Les soldats n'ont pas si tôt quitté l'hôtel du gouverneur que le tocsin se met à sonner. La population est rameutée par les avocats, tabellions, clercs et autres auxiliaires de justice qui gravitent autour du Parlement, particulièrement fâchés de perdre celui-ci, qui est leur gagne-pain.
Des Grenoblois s'emparent des portes de la ville. D'autres, montés sur les toits, jettent des tuiles et divers objets sur les soldats. L'hôtel du gouverneur est saccagé. Vers la fin de l'après-midi, les émeutiers, maîtres de la ville, réinstallent les parlementaires dans le palais de justice.
De leur propre initiative, les avocats Mounier et Barnave tentent de réunir à Grenoble une assemblée des trois ordres (clergé, noblesse, tiers état). Mais le maréchal de Vaux, qui a remplacé Clermont-Tonnerre, les en empêche avec des troupes corses et suisses. Qu'à cela ne tienne ! Les délégués décident de se réunir au château de Vizille, à quelques coudées de Grenoble. C'est la propriété d'un industriel libéral, Claude Perier (ses fils et petits-fils accèderont à des fonctions de premier plan).
Assemblée de Vizille, 1788 (Alexandre Debelle), Musée de la Révolution française de Vizille. |
Réunis le 21 juillet 1788 dans la salle du jeu de paume du château, ces états généraux du Dauphiné comptent 165 nobles, 50 ecclésiastiques et 325 bourgeois. Ils décident de voter par tête et non par ordre. Ils appellent à refuser le paiement de l'impôt et demandent aux autres assemblées provinciales d'en faire autant. Enfin, ils appellent à la réunion des états généraux du royaume. C'est la première manifestation de révolte contre l'autorité royale.
Dans l'impasse, Loménie de Brienne ne voit bientôt plus d'autre issue que de convoquer les fameux états généraux. Il pense que seule cette assemblée des délégués de tout le pays pourra imposer des réformes aux privilégiés et au Parlement. C'est ce qu'il suggère au roi avant de suspendre les paiements de l'État.
Louis XVI, qui a été affecté par une dépression à la suite de tous ces événements, se résout donc le 8 août 1788 à convoquer les états généraux. Leur ouverture est prévue le 27 avril 1789 avant d'être reportée in fine au 5 mai suivant.
Le Parlement de Paris commence à s'inquiéter des conséquences de l'orage qu'il a provoqué. Il prend un arrêt le 25 septembre 1788 par lequel il réclame que les états généraux soient convoqués "suivant la forme observée en 1614", autrement dit par ordre (clergé, noblesse et tiers état), dans des conditions excessivement défavorables pour le tiers état !
Le 25 août 1788, en attendant les états généraux, le roi renvoie Loménie de Brienne, exécré par le peuple et les parlementaires en raison de ses expédients financiers. Il ne trouve rien de mieux que de rappeler le banquier suisse Jacques Necker au contrôle général des Finances pour faire face à la panique.
"Le débat public a changé de face. Il ne s'agit plus que très secondairement du roi, du despotisme et de la Constitution ; c'est une guerre entre le tiers état et les deux autres ordres", écrit avec clairvoyance le journaliste suisse Jacques Mallet du Pan en janvier 1789.
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Pour les curieux : Jean Favier, Chronique de la Révolution, Éditeur Chronique, Paris, 2000
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